samedi 26 juillet 2025

CESSION DES DROITS : « CETTE DEMARCHE DES AUTEURS NOUS AIDE VRAIMENT »

La cession des droits aux éditeurs africains permet de rendre disponible les livres d’auteurs du continent publiés à l’étranger. Cette approche qui s’inscrit peu à peu dans les pratiques éditoriales francophones permet de donner une vie africaine à ces auteurs publiés hors du continent, en rendant leurs œuvres disponibles à des prix accessibles.

Par Soultan TMP

Quarante-six ans après la première édition du livre La parole aux négresses de l’écrivaine sénégalaise Awa Thiam, les éditions Saaraba propose une réédition de cet essai féministe dont les seuls exemplaires qu’on retrouvait, difficilement au Sénégal et en Afrique, étaient celles de 1978, publié aux Éditions Denoël, maison d’édition française. La mise à disponibilité de ce livre aux africains vient répondre à un constat global de Souleymane Gueye, promoteur de Saaraba et de la librairie Plumes du monde à Dakar au Sénégal « J'ai découvert en tant que librairie une catégorie de livres qui sont ceux édités hors d'Afrique, ayant pour grande partie comme cible des publics africains, et qui ont disparu des rayons des librairies, faute de réédition. » souligne Souleymane Gueye.

Les écrivains africains édités à l’étranger, bien que reconnus mondialement, ne sont pas assez lu chez eux. Dans un sondage du Café Des Mots, 11 internautes sur les 22 qui ont répondus au questionnaire ne possèdent pas d’exemplaire du premier Goncourt Africain, La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr, faute de moyens. Pourtant le livre, suite à un accord avec son éditeur, est vendu à 9000 frs (13,71 £) en Afrique, soit 7 euros moins cher qu’en Europe pour la même édition. L’inaccessibilité de La plus secrète mémoire des hommes malgré cet accord démontre peut être que la meilleure alternative reste la cession des droits. Pour un pays comme le Cameroun où le SMIG est de 41 875 F CFA (63,8 euros), ce livre reste cher. 63% des personnes ayant participés à ce sondage ont à ce jour acheté moins de 5 livres d’auteurs africains publiés à l’étranger. Et pourquoi ? Parce qu’ils les trouvent hors de prix.

 

 « Le soutien des auteurs est capital et salutaire »

Pour pallier cette problématique, les écrivains africains depuis quelques années s’arrangent à réserver des droits pour des éditeurs sur le continent. François Nkeme, promoteur des Editions Proximité se réjouit de bénéficier de la confiance que Djaïli Amal lui a accordée pour ses livres Cœur du sahel et plus récemment Le harem du roi, tous deux édités aux Editions Emmanuel Collas en France. « J’ai les droits sur toute l’Afrique francophone de ce livre. Cette démarche des auteurs nous aide vraiment » affirme François Nkeme. « Le soutien des auteurs est capital et salutaire » abonde Souleymane Gueye.

A Paris, JC Lattès, éditeur du Prix voix d’Afriques est dans la même démarche de collaborer avec des maisons d’éditions du continent. Deux mois après l’édition française du prix voix d’Afriques 2024 Ces soleils ardents, l’auteur, Nincemon Fallé, annonçait sur ses réseaux sociaux la disponibilité d’une deuxième version produite par la maison d’édition La case des lucioles, basée à Abidjan. En mai 2024 au Salon International du livre d’Abidjan (SILA), le stock de la version africaine a été épuisé. « Entre la version française qui coute 15 000 frs et la version africaine qui coute 5000 frs, le choix est vite fait » remarque Nincemon Fallé, qui trouve que c’est bien que les deux éditions soient sorties de manières rapprochées, afin que le lectorat africain découvre le livre au même moment que celui de la France. « L'éditeur local a la faculté d'adapter l'ouvrage aux réalités de son marché, en choisissant par exemple un format et un façonnage différent » explique Souleymane Gueye, qui pense que la cession de droit peut permettre de réduire le coût du livre, en supprimant des charges comme les frais de douanes ou de transport du livre.

Ça marche. Mais encore…

La cession des droits se révèle être une véritable opportunité pour les éditeurs africains. Tout le monde s’y met. Les auteurs s’arrangent à réserver des droits pour des éditeurs locaux, les éditeurs africains proposent des collaborations aux éditeurs étrangers, eux-mêmes ouverts à ces collaborations. Et aussi il y a l’alliance internationale des éditeurs indépendants avec la collection Terres solidaires qui rééditent des textes d’auteurs africains édités en France et cèdent des droits à des maisons d’édition en Afrique. Proposés à 3500 frs (5,33 £), ces rééditions s’arrachent comme des petits bouts de pain sur le continent.

Aujourd’hui au Cameroun, il est impossible de trouver une seule version africaine de Ceux qui sortent dans la nuit de Mutt Lon dans une librairie. Pourtant la demande de ce livre est forte. Ange Mbelle, promotrice du réseau de distribution de livres en Afrique Le grand vide grenier affirme ne pas douter du succès de ce livre s’il était réimprimé. Elle confirme que cette démarche de cession de droit marche, mais déplore le laxisme des éditeurs locaux « Ils ne considèrent pas la subvention comme une impulsion. Généralement quand le stock subventionné est terminé, c’en est fini pour la version africaine. Ou ils attendent une deuxième subvention » regrette Ange Mbelle.

La cession des droits est sans doute la meilleure approche éditoriale pour le moment en Afrique francophone. Elle arrange tous les acteurs du livre sur le continent. Les éditeurs ont des contrats et font des tirages considérables, les distributeurs et libraires écoulent leurs commandes rapidement, les lecteurs sont satisfaits du coût, et enfin, les auteurs sont lus chez eux. C’est toute une industrie du livre qui tourne à sa manière et qui mérite d’être consolidée.

On fait mieux chez les Anglos

La cession des droits est aussi pratiquée en Afrique anglophone. Là-bas, le processus de négociation des droits est soit entamé par un éditeur local, soit l’éditeur originel propose pro activement les droits du livre à la vente. « En acquérant les droits de cette manière, nous maitrisons les moyens de production, ce qui nous permet de gérer efficacement les couts » explique Anwuli, cofondatrice de la maison d’édition nigériane Narrative Landscape Press, qui a publié la version africaine de Dream Count, le dernier livre de la célèbre écrivaine nigériane Chimamanda Adichie. L’éditeur originel de Dream Count est Knopf, éditeur américain. Son édition du livre de Chimamanda coute 27 euros, pendant que celui de Narrative Landscape Press est proposé à 11, 31 euros. Cette version africaine de Dream Count marche bien dans le marché local. 10 000 exemplaires de ce livre ont été écroulés seulement le premier trimestre après sa sortie en mars 2025. « Nous avons vendu 4000 exemplaires les 15 jours suivant la sortie du livre » ajoute Anwuli Ojogwu.

Mais cette éditrice ne se limite pas à l’approche de l’acquisition des droits pour rendre les livres d’africains plus accessibles dans le continent. Comme d’autres éditeurs anglophones d’Afrique, elle acquière aussi les licences de distributions. C’est le cas du livre Small Worlds de Caleb Azumah qui est édité chez Penguin Books. Il coute 9,9 euros, pendant que le même livre au Nigeria coute 3,11 euros. « L’éditeur originel conserve le contrôle total de la production tout en vendant le titre final à des éditeurs comme nous, en appliquant un gros rabais sur le cout du livre  » témoigne Anwuli. Sur les 2000 exemplaires de Small Worlds commandées par Narrative Landscape Press, 1000 exemplaires ont déjà été écoulés. Ce qui selon Anwuli, est un bon chiffre pour un auteur peu connu comme Caleb Azumah.

En plus de ces deux approches d’acquisition des droits des œuvres et de licence de distribution, les éditeurs britanniques comme Heinemann, Random House, Longman ou Macmillan ont ouverts des filiales sur le continent. Ces maisons fonctionnent aujourd’hui comme des entités locales, autonomes sur le plan éditorial et commercial, décolonisant ainsi le commerce du livre, qui reste encore « très cloisonné, très « modèle ancien » » écrit Pierre Astier dans une Tribune publiée en 2014 dans le journal Le Monde dont le titre est Mondialisons l'édition française! Une décennie après cette Tribune de Pierre Astier, les grandes maisons d’éditions francophones continuent d’importer les talents africains. Les auteurs publiés localement peinent à exister dans une Francophonie qui se revendique pourtant Glocale.

 

 

 

 

 

 

 

 

               

 

1 commentaire:

  1. Enquête extrêmement pertinent au regard du besoin qu'éprouvent les lecteurs africains d'avoir accès à des grands noms de la littérature africaine publiés hors d'Afrique. Et aussi du besoin de voir le livre circuler dans tout l'espace francophone selon les besoins de chaque partie de ce macrocosme.

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