Je remercie la nuit de Véronique Tadjo a été édité aux éditions Memoire d'encrier. Cette maison d'édition basée à Montréal a été fondée en 2003. Son promoteur Rodney Saint-Eloi parle de ce livre et de sa collaboration avec l'auteure dans cette interview
Par Soultan Tmp
1. Vous êtes l’éditeur du livre Je remercie la nuit qui a remporté le prix Ahmadou Kourouma 2025. Qu’est-ce que cette distinction représente pour votre maison d’édition ?
Bonjour. Cette distinction est un immense honneur pour Mémoire d’encrier. Le prix Ahmadou Kourouma m’est d’autant plus précieux que j’ai rencontré Ahmadou Kourouma, et qu’il est l’un des fondateurs de cette littérature africaine sub-saharienne. C’est aussi un hommage à Véronique Tadjo, à son travail et à la force de son imagination. Elle nous offre un continent, loin des poncifs et des attentes. Ce Prix nous rappelle que l’Afrique a sa parole et sa vision, pour regarder et réinventer le monde.
2. Comment s’est passé le processus de production de ce livre avec Véronique Tadjo qui n’était pas à son premier roman ?
Cela a pris du temps et du travail. Beaucoup de médiations. Beaucoup de retours. Le livre s’est fait lentement et avec amour, car, Je remercie la nuit est pour nous une œuvre fondamentale. Véronique Tadjo y a mis tout son cœur. Effectivement, Véronique est une autrice connue. Je l’avais rencontrée en Haïti, il y a plus de 30 ans, et je suivais ses écrits. Et je me disais toujours que cette autrice demande à être mieux connue, mieux lue, et mieux considérée. C’est le gros du travail. Alors, je dis honneur et respect à cette grande dame qu’est Véronique Tadjo. Et à celles et ceux qui ont, par ce Prix, prolongé ou renouvelé la voix de Kourouma. Je pense naturellement à Hemley Boum, Beata Umubyeyi Mairesse, Tierno Monénembo, Emmanuel Dongala, Bessora, Max Lobe, David Diop, Max Lobe, Mbougar Sarr, Scholastique Mukasonga, Sami Tchak.
3. Le processus de réalisation d’un livre implique de longs et profonds échanges entre l’éditeur et l’auteur.e. Qu’est-ce qui a été le plus difficile à concéder ou à proposer à Véronique Tadjo ?
Rien n’a été difficile. La conversation était longue. Longue sur Flora et Yasmina, les deux protagonistes du roman. C’était beau de voir la vie ordinaire en Côte d’ivoire, de voir les deux filles, deux amies, deux universitaires, face à leur avenir. Ce livre donne à lire une Afrique possible. J’aime vraiment ce jeu du possible, avec des faits du quotidien. Et de voir que l’humanité de ces deux filles est une humanité partagée, avec n’importe qui, et dans n’importe quel pays. J’aime en fait le refus d’essentialiser l’Afrique, comme le vieux continent mythique, mystique, ésotérique. Avant, Véronique Tadjo a postfacé pour Mémoire d’encrier le livre de la grande Sindiwe Magona, Mère à Mère. J’étais heureux de me promener dans ces rêves d’Afrique. Le plus difficile, c’était la réalité politique. Nous avons dû faire en sorte que la crise politique qui est un déclencheur ne prenne pas toute la place. Et que l’imaginaire reste puissant, car il est d’abord question de fiction. Et aussi ce qui importe, c’est que l’horizon est en Afrique, en passant de la Côte d’ivoire à l’Afrique du Sud. Pour moi, c’est simplement un roman, un vrai, un beau et grand roman.
4. La tendance est de proposer aux éditeurs africains des reeditions de livres d'auteurs du continent publiés à l'étranger. Ceci dans le but que ces œuvres soient financièrement plus accessibles aux lecteurs sur en Afrique. Envisagez-vous cette démarche ? Sinon, comment comptez-vous faire pour que le livre puisse être disponible en Afrique ?
Le roman va être édité dans les prochains mois aux éditions Valesse, à Abidjan. Nous avons déjà publié avec Valesse des auteurs comme Blaise Ndala, Sindiwe Magona et, voici le dernier projet avec eux. C’est nécessaire que le livre soit en circulation en Côte d’ivoire. Le livre appartient d’abord à celles et ceux qui ont vécu cette histoire. Le livre sera présent au prochain salon du livre d’Abidjan, en mai prochain. L’autrice et moi, nous y serons. Alors, lectrices et lecteurs, préparez-vous à découvrir ce livre qui est le vôtre.
5. Je remercie la nuit n’est pas le seul roman que vous avez publié en 2024, mais vous avez cru en lui, pourquoi le proposer au prix Kourouma et pas d’autres ?
Le prix Kourouma est un incontournable pour moi. Car l’Afrique est ce qui m’a précédé en tant qu’Haïtien. Je crois simplement que ce livre mérite tous les prix. C’est avant tout un hymne à l’amitié et à la beauté.
6. Comment Je remercie la nuit porte la littérature contemporaine africaine et reflète la vision de votre maison d’édition ?
Mémoire d’encrier est une maison d’édition-monde. Nous sommes en lien avec les continents et les humains. Dans l’imaginaire du monde, je crois que la part de l’Afrique est colossale. Pour nous, le vrai centre est là-bas, chez vous. C’est en Afrique que le monde trouve ses lumières. Les lumières ne se trouvent pas là où on nous a fait croire. C’est pour nous un pari, comme on le fait avec les autochtones du monde entier. Notre désir est de faire rencontrer les imaginaires, de provoquer la rencontre des univers, en enlevant toutes les frontières. Alors que je vous parle, je suis en train d’éditer à Mémoire d’encrier, avec la romancière palestinienne Yara El-Ghadban, un livre qui nous est précieux et éclairant. Il s’agit du collectif Gaza écrit Gaza. Des récits écrits par de jeunes écrivain.es de Gaza. Voici notre pari. Et nous y croyons.
7. Votre maison d'édition qui s'appelait Mémoire en 2001 à Haïti devient Mémoire d'encrier en 2003 quand vous vous installez au Canada. Quelle mémoire voulez vous raconter à travers les récits que vous éditez ?
Mémoire d’encrier raconte le monde, ceci dans sa diversité, ceci dans toutes les langues, ceci, dans une démarche décoloniale, profondément indépendante, profondément rebelle. Car, comme le dit Darwish, « Aucun peuple n'est plus petit que son poème ». Le monde que l’on nous offre, et que l’on fait circuler n’est pas nécessairement le monde. Ma perspective est qu’il faut ouvrir le dispositif narratif et tout inclure, les voix du sud, les voix du nord, faire corps, ensemble, pour parvenir à faire communauté. C’est à cette condition que le monde sera monde.
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