Joseph Fumtim écrit un livre qui s'intéresse à la gent féminine dans le Bikutsi. Ce livre présente un Bikutsi erotisé par les femmes qui l'incarnent au Cameroun.
Par Soultan Tmp
Parler des femmes dans le Bikutsi c'est presque faire une tautologie, parce qu'au commencement de cette musique, étaient les femmes. Et si aujourd'hui Joseph Fumtim propose un livre qui se penche sur la gent féminine dans le Bikutsi comme industrie musicale, c'est parce qu'au commencement, cette fois, étaient les hommes. Puis vinrent les femmes, fortuitement d'ailleurs. De Anne Marie Nzie à Mani Bella en passant par K-Tino ou Lady Ponce, la destination Bikutsi n'a pas toujours été calculée. Même si certaines chantent depuis leur enfance. Ces artistes, de generations différentes, d'horizons divers, vont incarner selon leur époque, leurs influences et leurs aspirations, un Bikutsi à leurs manières, arrachant la scène aux hommes. Et là, nous sommes véritablement dans les années 90, avec pour égérie, une certaine Cathy de Tino qui s'affranchira de Tino Baroza, reinventant le Bikutsi autant qu'elle se reinvente elle-même sous l'appellation de K-Tino qu'on lui connaît aujourd'hui.
K-Tino incarne une reformualation du Biktusi qui se raconte par le corps. Tenues, gestuelles... tout accessoire qui saurait mettre leurs formes en spectacle. Ce discours du corporel est accompagné des jurons, aphorismes ou onomatopés qui nourrissent un Bikutsi désormais erotique. Joseph Fumtim cite des titres comme Afibel de K-Tino où elle ordonne aux hommes " Accélérez la tige", de Coco argentée dans Fallait pas qui dit " j'ai envie de, envie de faire" ou de Lady Ponce dans son titre Là Là Là qui dit " Si tu peux, si tu veux, fais moi vibrer"Joseph Fumtim regrette un Bikutsi dont les valeurs ont été sacrifiées à l'autel du spectaculaire encouragé par l'arrivée de la télévision et la réalisation des vidéos clips. L'événement marquant le grand tournage, selon l'auteur, est l'invitation de Tsala Muana, en 1991, pour une prestation à la télévision nationale, Crtv. Ses déhanchements, ses états sur scène et ses caresses vont faire la UNE des journaux et alimenter les débats.
Les matrones du Bikutsi moderne ont le mérite de le rendre populaire. Empruntant ici et là des vocables et des méthodes peu ou prou appréciés des conservateurs. L'auteur souligne une forme d'Atalaku-Bikutsi dont Amazone, selon l'auteur, se revendique en être la promotrice. Joseph Fumtim cite des titres comme Ancien Yéyé de K-Tino ou Donner Donner de Lady Ponce. L'Atalaku Bikutsi va s'articuler autour des footballeurs et géants de la finance, des hommes de média, des ministres et de hauts dignitaires de la République. Et puis principalement, selon l'auteur, autour de Chantal Biya, la Première dame du Cameroun.
Les femmes jouent désormais les premiers rôles dans le Bikutsi. Elles ont même leurs propres maisons de production. Poto Poto, Ponce Attitude ou Pala Pala Bande de K-Tino, Lady Ponce et Mani Bella respectivement. Mais l'auteur rappelle que le travail de studio demeure l'apanage des hommes. Seule Sally Nyolo, multi-instrumentiste et directrice artistique en plus d'être chanteuse se distingue de toutes les autres matrones du Bikutsi. La qualité de ses livraisons est largement tributaire de l'autonomie et l'indépendance qui est au cœur de sa démarche. Une démarche dont les bikutsistes, selon l'auteur, devraient emprunter, afin de réduire les inflexions éthiques auxquelles elles sont parfois soumises.
Ce livre au cœur du Bikutsi féminin, raconte un art musical aux influences plurielles. Le Bikutsi a su se saisir des mutations technologiques, infrastructurelles ou sociopolitiques de son environnement pour rester sous les feux des projecteurs. Parfois au détriment de sa nature et de son discours. Lui donnant un succès bien relatif selon l'auteur. Il évoque un classement 2015 du célèbre magazine Forbes des 30 artistes africains les plus influents de l'année. Lady Ponce et Mani Bella ferment la queue, respectivement 28eme et 29eme.
Joseph Fumtim propose un livre unique qui s'ajoute à la littérature sur le Bikutsi et dans une certaine mesure sur le peuple Ekang, duquel le Bikutsi est originaire, tirant ses racines du Mvet, qui en plus d'être un instrument musical, est aussi un ensemble de récits qui sont accompagnés dudit instrument. Ce livre qui raconte la vitalité et les glissements du Bikutsi féminin pose un regard transversal sur cette musique, la comparant parfois à d'autres musiques d'Afrique, questionnant ses expressions, comprenant même parfois ses mutations et exposant son environnement. L'auteur n'arrive pas à dissimuler, même s'il le voulait, sa nostalgie d'un Bikutsi d'antan où l'on chantait plutôt que ne gémissait, où l'on dansait plutôt que ne se tremoussait.
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